Manifestation réprimée au Venezuela Par lucien Hier 12 mars une manifestation pour la liberté d’action syndicale à Maracay, à une centaine de kilomètres de Caracas (Venezuela), protestait notamment contre l’emprisonnement du syndicaliste Ruben Gonzalez et pour le droit aux négociations collectives. Bien que la manif soit règlementairement autorisée, la police a attaqué sans avertissement les manifestants aux lacrymogènes et arrêté et mis en garde à vue une quarantaine d’entre eux, dont Rafael Uzcátegui, membre du collectif du journal El Libertario. Ce militant a été libéré mais cet épisode confirme nos inquiétudes quant à la politique de répression par le pouvoir bolivarien de toute tentative d’expression autonome des salariés. Témoignage de Rafael Uzcátegui: « Laissant de côté toutes les normes élémentaires du journalisme, j’écris à la première personne. Après l’appel d’un groupe de syndicats à réaliser une manifestation dans la ville de Maracay contre les mesures économiques, la criminalisation de la protestation et pour la justice dans le cas des travailleurs assassinés pour avoir exigé des améliorations dans leur travail, trois personnes du groupe des droits de l’homme Provea, parmi lesquelles je m’inclus, et deux membres du journal El Libertario, dont je fais aussi partie, partirent avec d’autres camarades de Caracas en solidarité avec les revendications ouvrières. Aux alentours de deux heures de l’après-midi, un groupe de 200 à 300 personnes se réunit sur l’intersection de l’avenue Bolivar avec Ayacucho de la ville. Nous reconnaissions certains visages, des syndicalistes de gauche de vieille date et venant de différents endroits du pays, mais la majorité des individus présents étaient affiliés à diverses organisations syndicales comme l’Union Nationale de Travailleurs (UNETE). La présence policière de Poliaragua (Police de l’État d’Aragua) était disproportionnée, et ils coupèrent rapidement les 4 rues que pouvait emprunter la manifestation. A tout instant l’attitude des autorités fut celle de la confrontation et de ne pas permettre le développement de l’activité. 30 minutes ne furent pas passées quand la police se mit a tiré des bombes lacrymogènes pour disperser les manifestants, et procéda aux premières arrestations de manière indiscriminée. Après avoir respiré les gazes toxiques et m’être ressaisi, j’accompagnai Roberto Gonzalez, secrétaire exécutif de la fédération du secteur pétrolier qui faisait des déclaration à la chaîne de télévision régionale TVS – Maracay, et alors qu’il parlait à un journaliste un groupe de plus de 30 policiers se mit à nous encercler. Dès que la caméra fut éteinte ils se jetèrent sur nous et nous montèrent de force dans leur véhicule. Dans la bousculade, ils me quittèrent pour la rompre par la suite la pancarte que j’avais à la main et qui lisait : ‘Pour l’autonomie libertaire et contre la répression des mouvements sociaux’. Nous étions 12 personnes dans la camionnette de police, parmi eux se trouvait deux activistes de la Ligue des Travailleurs pour le Socialisme (LTS). Nous ne fûmes ni informés des charges retenues contre nous ni de l’endroit où nous étions emmenés. Nous arrivâmes au commissariat générale de l’état d’Aragua, situé dans la zone de San Jacinto. Les autres détenus, dont une femme, furent obligés à s’asseoir parterre. [Nosotros extendimos la fila]. On nous enleva les documents de identité et, peu après, on nous amena dans un bureau où il remplirent les formulaires d’entrée, avec nos données. Dans une autre salle, ils nous obligèrent à nous déshabiller, nous filmant le visage avec une caméra. Un policier obèse, habillé en civil, nous demandait pendant l’enregistrement ‘Qui vous a donné les ordres ?’, ‘Qui vous a donné les ordres ?’. Après cela, ils nous mirent à 8 dans une cellule de 2 mètres par un, en compagnie d’un mineur qui était dans cette cellule depuis 6 mois pour vol aggravé. On ne pouvait pas tous s’asseoir au même temps. Alors que la chaleur nous suffoquait, lentement, le mineur urina dans une bouteille de soda. Une fonctionnaire d’un niveau inférieure du service du Procureur arriva nous informant que les charges étaient ‘Obstruction de la voie publique, incitation à la délinquance et résistance face à l’autorité’. Sans beaucoup d’enthousiasme elle nous dit, avant de partir, que nous serions présentés le lendemain au Ministère Publique. Plusieurs fonctionnaires du service de Défense du Peuple (organisme chargé de défendre les citoyens face aux abus du pouvoir), dont l’intermédiation nous permit de quitter, après quelques heures, le trou où on nous avait mis. Deux avocats de Provea arrivèrent de Caracas, et presque avec eux, la nouvelle qu’un ordre de haut niveau avait été donné pour notre entière libération, comme si on essayait d’effacer notre passage par ce Commissariat. Après avoir attendu une autre heure on nous rendit nos affaires. Sur les séquelles de ce qui avait dû être une forte pluie, un groupe important de camarades nous attendait. Nous sortîmes tous et toutes ensembles, accolades, baisés, applaudissements, une réunion improvisée. En peu d’heures l’information concernant notre détention avait fait le tour du monde. Beaucoup de camarades ont tout fait pour nous aider, quelques communiqués traversaient déjà cette mer qu’est Internet refusant la répression et réclamant notre libération, des appels téléphoniques se suivaient depuis différents endroits du monde. Depuis la capital le coût politique d’une détention de trois activistes des droits de l’homme fut été pesé et, aussi bien le Procureur Général que la Défense du Peuple, personnellement, contactèrent les autorités régionales pour exiger notre remise en liberté immédiate. Quel dommage qu’une telle vitesse n’existe pas pour les autres cas de rétention pour le fait d’avoir réaliser une manifestation. Si tel était le cas, il n’y aurait pas plus de 2 200 personnes soumises aux régimes de présentation au tribunal après avoir passé une odyssée comme la nôtre. Avoir ce type de traitement est un triste privilège. Ceci n’efface pas pour autant le fait que, une fois de plus, une manifestation de travailleurs fut barrée et réprimée par les autorités, qui, tout comme le montrent les faits, s’est convertit en une politique d’État. Une autre réflexion est liée à ce que j’appellerai, vu le peu d’idées en tête en raison de ma fatigue, la politique du scandale. Notre libération rapide, qui je le répète n’est pas monnaie courante dans des cas similaires, fut le produit dans une large mesure du fait que la nouvelle se répandit instantanément à travers les réseaux sociaux, comme Twitter, mais en particulier les moyens de communication massifs pas liés à l’État. Ce qui est paradoxal c’est que l’information fut amplifiée par les médias pour lesquels nous ressentons de grandes réserves, tels que Globovision et El Nacional, mais ignorée par ceux qui sont censés accompagner les luttes populaires. Pour citer un exemple rapide Aporrea. Pour des gens qui se définissent comme ‘agence populaire alternative d’information, revue digitale ouverte et interactive du mouvement populaire et des travailleurs’, la manifestation d’aujourd’hui 12 mars à Maracay n’a pas existé – par contre il y eut une grève à Rome -, ni la répression ni la détention de deux dizaines de travailleurs et dirigeants syndicaux. Comme je l’ai déjà dit au cours d’une autre occasion il faut contraster l’information des médias ‘alternatifs’ avec ceux des médias privés et non pas le contraire, tel que ça se fait dans le reste du monde. Il faut, parfois, tirer les conclusions qui s’imposent de cette situation. J’écris ceci de chez moi, sous la protection de ma compagne et de ma chienne, adoptée au cours d’une journée de balade dans les rues d’Aproa. Et la possibilité de dormir avec une compagnie si agréable je la dois à toute une infinité d’amis et d’amies qui se sont mobilisés rapidement et que je dois remercier personnellement, et non pas à travers une liste où je pourrai commettre l’injustice d’oublier quelqu’un. Ils et elles savent qu’ils/elles sont et sont à ce moment même en train de recevoir cet e-mail. En tant qu’être humain, en tant qu’anarchiste et comme défenseur des droits de l’homme j’espère ne pas trahir leur dévouement, et continuer ce chemin qui n’est autre qu’accompagner et fortifier, si une telle arrogante prétention est possible, la lutte des personnes qui confrontent le pouvoir, pour leurs dignités et leurs droits, qui sont les miens également. Merci. » Rafael Uzcátegui 13.03.2010 ********************************************************************* Venezuela : un pouvoir de plus en plus tendu Un nouvel épisode de répression du mouvement social, heureusement, semble-t-il, sans conséquences durables pour les militants concernés, témoigne des réactions allergiques du gouvernement chaviste aux expressions des revendications sociales. Le 12 mars 2010, des membres de différents syndicats, soutenus par quelques militants politiques avaient prévu de manifester à Maracay, la capitale de l’État d’Aragua, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Caracas. Ils entendaient protester contre la politique économique du gouvernement, mais aussi contre la criminalisation de la protestation sociale et l’impunité dont jouissent les instigateurs d’assassinats de combattants sociaux, de dirigeants ouvriers ou paysans non ralliés au pouvoir. Leur rassemblement – 200 à 300 personnes – fut rapidement entouré de tous côtés par les forces de l’ordre, puis attaqué à coup de bombes lacrymogènes. Une vingtaine de manifestants furent arrêtés par les forces de l’ordre et subirent au commissariat une garde à vue qu’on pourrait qualifier d’ordinaire, si ce n’est qu’on les obligea à se déshabiller complètement tandis qu’on filmait leur visage, et qu’on en entassa huit d’entre eux dans une cellule de 2 mètres carrés où séjournait déjà depuis six mois un garçon mineur. Un représentant du parquet vint leur dire qu’ils seraient inculpés pour obstruction de la voie publique, incitation à commettre des délits et outrage à la force publique. Leur comparution au tribunal était prévue pour le lendemain. Ils furent cependant libérés quelques heures plus tard. Selon Rafael Uzcategui, qui assistait à ce rassemblement en tant qu’observateur, représentant l’organisation de défense des droits de l’homme PROVEA, et qui fut arrêté, c’est la rapidité et l’ampleur des protestations, y compris internationales, qui amenèrent le gouvernement central à demander aux autorités locales de relâcher les manifestants. Il est utile de préciser que l’État d’Aragua et la ville de Maracay sont tous deux dirigés par le PSUV, le parti majoritaire chaviste, et qu’il ne s’agit donc pas d’un épisode de l’affrontement entre le gouvernement et l’opposition parlementaire. Comme le rappelle Rafael Uzcategui, qui fait également partie du collectif de rédaction d’El Libertario, le pouvoir cherche à museler systématiquement toute expression du mécontentement populaire. Ainsi, il y aurait actuellement environ 2 200 personnes attendant de passer en jugement simplement pour avoir voulu exprimer leurs revendications. On trouvera sur le site de l’OCL l’appel lancé en décembre 2009 par des organisations vénézuéliennes pour la « défense du droit à la protestation sociale ». Il faut naturellement replacer ce durcissement du pouvoir vénézuélien dans le contexte général de dégradation des conditions de vie de la masse de la population. Les améliorations attendues des différentes « missions », dans des domaines comme la santé, l’éducation et le logement se sont révélées largement illusoires ou éphémères ; la priorité donnée dans les marchés publics à des « coopératives » dirigées par des amis du pouvoir ont accru la précarité (voir à ce sujet l’interview réalisée il y a déjà 18 mois par Charles Reeve). Aujourd’hui, les pénuries d’électricité et d’eau se conjuguent aux effets de la dévaluation de janvier 2010 (le Venezuela importe plus de la moitié de ses produits alimentaires) pour rendre ces conditions de vie encore plus difficiles. Les gesticulations anti-américaines et les références au « marxisme » de Chavez ne les amélioreront pas, et il est à craindre que les mesures d’intimidation, jusqu’à l’assassinat, des protestataires sociaux ne fassent que s’amplifier. J.M.K., 14 mars 2010